vendredi 11 janvier 2008

Une bien longue nuit

C’était un samedi d’avril pas tout à fait comme les autres. Contrairement à son habitude, il s’était réfugié dans son lit très tôt ce soir là. Le noir total qui régnait dans cette chambre étroite ne faisait qu’accentuer sa mélancolie et le silence aggravait cette atmosphère pesante qui s’emparait de son âme blessée. Son esprit errait dans une escapade sans but, imaginant ce qui se passait au même instant plus loin dans la ville enivrée par le printemps qui vient de s’installer doucement mais sûrement. Les yeux fermés, il s’adonna à une triste auto-flagellation et se jeta dans le courant torrentiel de ses larmes incessantes. « Elle se marie en ce moment… » Il ne faisait que répéter dans sa tête ses quelques mots. Il était triste mais également, il ressentait une sorte de plaisir masochiste à se faire tant de mal pour se « punir », pense-t-il.
Tout commença (ou pour être plus vrai, ne commença pas) plus de deux ans auparavant. Un matin pluvieux de janvier, alors qu’il était allé voir quel poste il allait occuper dans son travail pour les six mois à venir, il croisa le regard de cette jeune médecin. Elle lui demanda tout en sourire, ce qu’il envisageait de faire. Lui, à qui il arrivait de se demander, s’il aimait vraiment les femmes –tellement il n’arrivait pas à tomber amoureux- fût pris sur le moment d’un sentiment vraiment inhabituel. C’est comme si le temps s’était ralenti et que l’espace avait changé d’échelle. Plus rien n’existait que ce regard profond et ce sourire pure et innocent qui l’enlevaient peu à peu de son existence insensée et inutile. Son cœur se mit à battre comme le tambour d’une fanfare, sa respiration s’était accélérée comme s’il avait couru un marathon et il se trouva à suer dans cette froide journée comme s’il sortait d’un sauna. Plus rien n’existait que ce regard et ce sourire. Seigneur, faites que je ne sois pas en train de rêver !! Quelques instants plus tard, durant lesquelles il dût meubler les minutes par des idioties qu’il débitait pour essayer de cacher son état, ce fût la désillusion. « Je te présente mon fiancé » disa-t-elle d’un air joyeux, ne doutant pas qu’elle était en train de planter un pieu dans le cœur de ce jeune homme perdu. Il feint un sourire très peu sincère et salua le prince charmant d’un bonjour furtif. Comble de malchance, il connaissais le prétendant, qui se trouvait être un ami de sa cousine, médecin de son état, elle aussi !!
Ceci dit, cette matinée de janvier était restée gravée dans sa tête. Même si cela n’aboutissait à rien, le fait qu’il ait éprouvé un tel séisme, le mettait en confiance. Quel bonheur !!
Il continuait, du fait de sa profession à la voir, il ressentait certes quelque chose, mais il étouffait ce sentiment, prétextant que ça ne pouvait aboutir. Quelques semaines plus tard, il apprenait qu’elle et son « prince charmant » s’étaient séparés. « Grand Dieu, est-ce un signe du destin que vous me faites là ?? ». « Dois-je comprendre que je dois aller de l’avant et lui faire la cours ?». Une nuée d’idées, plus folles les unes que les autres envahissait son cerveau encore sous le coup de l’émotion. Après moult hésitations, il se décida à tenter sa chance et à courir derrière ce rêve qui commençait à devenir une obsession. Oui mais ce jeune homme maladroit et extrêmement timide, pourrait-il arriver à convaincre sa bien-aimée de son amour et en même temps de son sérieux. Rien n’est moins sûr. L’amour, elle n’y croit plus et le sérieux ne fait pas partie de sa personnalité. Timide comme il est, il a la fâcheuse habitude de se cacher derrière des singeries et des enfantillages. Rien de mieux pour convaincre la jeune femme que ce garçon est certainement gentil et sympathique et qu’il ferait un bon, voire un très bon ami mais sans plus !! Elle était pourtant consciente qu’il essayait de lui prouver son amour mais elle n’a que faire de l’amour qui lui semble être devenu une illusion qui lui a brisé le cœur. Elle ne songea pas une minute qu’elle, sans le vouloir, allait briser un cœur tendre qui faisait tout pour lui communiquer son sentiment. Un soir d’été, en lui faisant parvenir un message écrit, elle lui fit clairement comprendre que c’était une course perdue. « Tu es un très bon ami » disa-t-elle ; « un frère, s’il te plait, ne m’aime pas ». Il n’en fût rien ! Il continua à l’aimer encore plus ! Une fuite vers l’avant. Cependant, il n’améliora pas sa stratégie : pas le moindre sérieux. Il faisait cependant quelques efforts pour lui prouver son amour. Il était toujours présent quand elle lui demandait un service. Il proposait même les siens. Il s’imaginait naïvement que cela allait la faire venir vers lui. Il lui arrivait d’admettre qu’elle n’était pas amoureuse de lui, mais était persuadé que dégager tellement de sentiments positifs était capable d’arranger les choses.
Mais la jeune fille qui se dirigeait lentement mais sûrement vers la trentaine avait d’autres projets. Elle ne croyait plus aux vertus de l’amour. Elle accepta alors d’épouser ce monsieur de quelques années son aîné, cadre de son état, issu d’une famille aisée ; un bon parti diront certains. Un vrai mariage de raison où l’amour n’avait vraiment rien à voir mais alors…rien !!!
Il n’oubliera jamais le jour où elle est venue lui remettre son invitation au mariage ! Il la regardait dans les yeux en essayant de lui faire communiquer son désarroi et son amour ! Ses yeux étaient en larmes et sa bouche sèche. « Je ne pourrais pas y assister » Osa-t-il lui dire et elle n’insista pas davantage. Ce fût les dernières paroles qu’ils s’échangèrent avant la fameuse nuit…
Une nuit bien longue. Il l’imaginait dans sa robe de mariée aux côtés de ce monsieur qu’elle n’aimait pas non plus mais qui est désormais son homme. Ses larmes se libérèrent de leur prison et formèrent un océan profond de tristesse qui l’engloutissait. Il se laissa aller dans le courant de sa tristesse qui ne finissait pas de grandir…